JAHFILS
  sa
 

A propos de précautions pour juguler la crise, on a vu dans les pays développés le retour en force de l’Etat dans l’orientation des politiques économiques. N’entrevoyez-vous pas une situation inconfortable pour les Etats africains qu’on incite à se désengager ?

Nous sommes en économie. C’est celui qui possède qui fait la loi. C’est le plus fort qui édicte les règles. Ce n’est pas à cause de la crise qu’il a été demandé aux Etats africains de laisser la place au privé. C’est justement cette philosophie du tout privé qui a entraîné cette crise. La philosophie a commencé il y a très longtemps. Au début, elle avait pour but de contrer le bloc soviétique, c’est-à-dire le bloc du Pacte de Varsovie. Il faut savoir que la guerre entre l’Ouest et l’Est était multiforme. Il y avait certes la course aux armements chimiques, biologiques, nucléaires et la course au positionnement stratégique à travers le monde, mais aussi et surtout la course à l’exportation idéologique. C’est à ce niveau que l’Occident prêchait que le libéralisme était mieux que l’étatisme. A partir de cet instant, on a poussé les pays africains à libéraliser au maximum, s’ils voulaient bénéficier de soutiens financiers auprès de l’Occident.
Après la chute du mur de Berlin en 1989, l’Occident est resté seul en piste, du point de vue de la bataille idéologique. Les gens ont cru que tout était gagné. Mais aujourd’hui, on se rend compte que cette philosophie du tout privé a ses limites. Les Africains devront réfléchir pour savoir ce qui est bon pour eux dans tel ou tel secteur. La vérité n’est pas dans l’extrême. Il y a des secteurs où il faut faire du privé. En Côte d’Ivoire, avec l’exploitation du café, du cacao, de l’hévéa, il est évident que c’est le secteur privé qui domine. Puisque les exploitations n’appartiennent pas à l’Etat. Elles sont généralement de petite taille. Mais il y a d’autres secteurs que l’Etat doit soutenir. Il s’agit du secteur des mines et des hydrocarbures.

Dans ce secteur, nous n’avons pas encore totalement une culture économique. Je préfère rester vigilant. Non seulement l’Etat doit précéder, mais aussi, il doit accompagner et suivre. Avec le retour en force de l’Etat en Occident, il faut que nous comprenions qu’une philosophie politique ou une philosophie économique se mesure à sa capacité de réussir. Donc s’il ne faut pas épouser le tout Etat, il ne faut pas non plus épouser le tout privé.

Justement, cette idée que l’Afrique doit s’adapter ou prendre son développement en main, vous la déclinez comme étant une politique économique basée sur la transformation de ses produits de base. On n’a pas le sentiment que ce discours prospère. Pensez-vous vraiment pouvoir être entendu ?

Il ne s’agit pas pour moi d’être entendu. Je suis Chef d’Etat. Donc je ne parle plus seulement pour être entendu. Quand je parle de mon pays, je parle pour appliquer. Malheureusement, je suis arrivé seulement le 27 octobre 2000. Et le 19 septembre 2002, il y a eu le déclenchement d’une crise qui m’a empêché de travailler.
Mais je voudrais persister et signer qu’il faut aller à la transformation. Voyez à travers le monde. Quand on dit d’un pays qu’il est pays développé, cela veut dire qu’il est un pays industrialisé. On ne dit pas d’un pays qui exporte uniquement des matières primaires brutes qu’il est un pays développé. Je ne suis pas en train de dire qu’il ne faut pas exporter de produits primaires. Mais il faut que dans la balance, l’exportation des produits ayant subi une à trois premières transformations l’emporte sur l’exploitation des produits primaires bruts. Je souhaite donc qu’en Côte d’Ivoire, nous nous engagions dans une politique de transformation de notre cacao pour ne plus avoir à l’exporter sous forme de fèves. Idem pour le café qu’on ne devrait plus exporter sous forme de grains.

Cette politique doit se mettre en place progressivement. C’est pour cela que chaque fois qu’une usine de transformation de cacao ou de n’importe quel autre produit agricole se met en place, je vais à l’inauguration. C’est une façon pour moi d’encourager les promoteurs. Là, ce n’est pas une question de privé ou de public. Il s’agit de créer une plus-value sur place. Nous sommes aujourd’hui, premier exportateur de fèves de cacao avec en moyenne 1,4 million de tonnes par an. C’était un bon titre de gloire au temps, du Président Houphouet-Boigny. A notre temps, ce serait suicidaire de rester dans cette unique dynamique. De nos jours, il faut que ce cacao crée d’autres emplois. Et cela ne peut se faire que par l’industrialisation. C’est un niveau d’emploi plus spécialisé que le premier qui n’est autre que l’exploitation de plantations. On n’a pas besoin d’une spécialisation pour créer une plantation. Mais le deuxième niveau, c’est-à-dire la transformation dans une usine, nécessite une technicité plus importante. Et il peut créer autant d’emplois que le premier niveau.
Pour réussir le pari de la transformation, nous devons nous mettre en rapport avec ceux à qui nous vendons les produits. A l’extérieur, il y a des usines alimentaires et pharmaceutiques qui peuvent acheter nos produits transformés. Et ce n’est pas tout. Savez-vous qu’on fabrique du bois et du papier à partir des cabosses de cacao ? On fabrique aussi des apéritifs à partir du café et du cacao. J’en ai déjà bu. On obtient aussi l’alcool médical à partir des deux produits. Voilà des choses déjà trouvées. On ne nous demande pas de faire des recherches. Les formules existent. Il y a toute une gamme de produits qu’on peut fabriquer. Mais il faut la paix. Il serait bon qu’un jour, nous ne soyons plus premier exportateur de fèves de cacao. Ce sera mieux, parce que nous serons devenus exportateurs de produits dérivés du cacao. Nous gagnerons plus d’argent et créerons plus d’emplois.

Excellence, là vous parlez de la Côte d’Ivoire. Mais à l’occasion du sommet sur les mines et l’énergie, à Yamoussoukro, vous avez interpellé vos pairs africains sur le fait qu’on ne devrait pas se réjouir d’être assis sur des gisements, mais qu’il fallait plutôt aller dans le sens de la transformation. Vous projetez même de proposer la création d’un fonds de garantie ou de souveraineté pour permettre à l’Afrique d’exister. Pensez-vous que cette idée sera acceptée, quand on sait que dans ce milieu, il y a une question de leadership ?

Moi, je discute économie. Je ne discute pas leadership politique. Si les questions de leadership politique doivent interférer, ce serait dommage. Mais ce que je voudrais faire remarquer, c’est que l’Afrique a essayé beaucoup de formules en vain. En 1980, nous avons mis en place le plan d’action de Lagos qui devait lancer le développement en Afrique. En 2000, nous avons créé le Nepad. Aucun de ces arrangements n’a abouti. La raison est que tous ses arrangements reposent sur le principe d’aller demander de l’argent à l’extérieur pour venir faire un développement interne. En ce qui me concerne, la génération à laquelle j’appartiens comprend maintenant qu’on ne se développe pas de cette manière-là.
Il ne faut pas attendre qu’un pays extérieur vienne vous donner de l’argent pour votre développement. Un pays où des institutions financières extérieures n’arrivent que quand elles sont assurées de ne pas perdre leur argent et d’en gagner. Je ne dis pas de ne pas emprunter. Ou de ne pas faire appel à l’épargne publique internationale. Mais je dis que pour faire appel à la finance internationale, il faut que nous ayons montré notre sérieux. L’Afrique produit tout. Elle a du pétrole, du manganèse, de l’or, du diamant, de la bauxite, etc. Nous pouvons asseoir un prélèvement sur ces productions. Il ne s’agit pas d’une cotisation. Parce que dans un tel cas, on est tenté de demander à chaque Etat de contribuer à la même hauteur. On ne peut pas aller loin. Il faut un prélèvement basé sur la richesse produite. C’est vrai, on dira que des pays vont plus contribuer que d’autres. Mais ce sont les plus gros contributeurs qui vont diriger le fonds. C’est une loi de l’économie. Dès l’instant où vous vous associez dans une aventure, ceux qui prennent le plus de risques, c’est à eux qu’on confie les clés de la maison.
Ce prélèvement va refléter la richesse de l’Afrique. Au bout de quelques années, ce sont des milliards de dollars qui seront mis dans une caisse que j’appelle pour le moment Fonds. Mais à laquelle un autre nom peut être donné. Les Etats pourront emprunter directement dans le fonds ou l’utiliser comme fonds de garantie auprès d’institutions financières extérieures. Cela nous permettra de subir moins le traumatisme du FMI et de la Banque mondiale. Je réitère la nécessité d’un tel fonds assis sur des prélèvements sur nos richesses primaires. Si ce fonds est mis en place après une étude faite par nos techniciens et géré proportionnellement à ce que les Etats y auront mis, nous serons plus respectés. Ainsi, nos demandes de prêts auront plus de chances d’aboutir.

Laurent GBAGBO Président de la Côte d’ivoire

Je voudrais revenir sur la crise financière mondiale. Certains redoutent qu’elle ait un impact négatif sur la coopération Nord-Sud. Avez-vous cette appréhension?(2/3)     

 
 
http://i84.servimg.com/u/f84/12/54/65/25/th/afrik10.gif©2009 jafils-online. Tous droits réservés.http://i84.servimg.com/u/f84/12/54/65/25/th/afrik10.gif
 
 
Ce site web a été créé gratuitement avec Ma-page.fr. Tu veux aussi ton propre site web ?
S'inscrire gratuitement