L'Histoire du Reggae
En 2006, le magazine Skarlatine va raffiner son glossaire et son encyclopédie musical en publiant L'Histoire du Reggae. En janvier, nous présentons le préambule de ce périple historique…
Imaginez la Jamaïque à la fin des années cinquante, déjà agrippée à la fièvre de l'indépendance pendant que la nation se prépare à s'affranchir de la Grande-Bretagne en 1962. Au centre-ville de Kingston, les chaînes stéréo résonnent et se livrent une féroce compétition pour cracher les plus récentes chansons et les nouveaux styles. Bien sûr, les sons importés de l'Amérique, comme le rhythm & blues, ne suffisent pas à satisfaire ces âmes, si bien que tôt ou tard, l'avènement d'une musique jamaïcaine indigène populaire auprès du grand public est inévitable.
Mais cette combinaison heureuse de nationalisme et de commercialisation avait un autre élément crucial: l'Afrique, qu'on appelait encore Éthiopie à cette époque. La religion, connue sous le nom de Pocomania, et les percussions traditionnelles Burru et Kumina avaient survécu à la grande traversée pour s'épanouir en Jamaïque où l'Africanisme a dû se cramponner, les révoltes d'esclaves étant beaucoup plus fréquentes sur l'île que n'importe où ailleurs dans les Caraïbes.
Plus tard, les ensembles de percussions des Rastas se sont révélés des exemples vivants de ces anciennes traditions, pendant qu'une industrie musicale en pleine éclosion ne tardait jamais à absorber ces influences.
Ajoutez à cela une génération de musiciens à la formation classique, mais qui partageait le sens de l'aventure lié à la scène bebop jazz, et des foules prêtes à danser toute la nuit… Il ne faut donc pas s'étonner que cette petite île, d'une population équivalente à la moitié des habitants de Londres, ait influencé tant d'artistes partout sur la planète!
La musique n'est pas le seul cadeau que la Jamaïque ait donné au monde, mais c'est souvent par cet art que les Jamaïcains choisissent de se définir eux-mêmes. Les gens vous diront comment la musique et le chant ont élevé les esprits à travers l'esclavagisme et le colonialisme, comment la musique a servi d'arme contre la corruption politique et la désobéissance civile. Elle a donné aux pauvres une voix et quelque chose qu'ils pouvaient s'approprier, elle a célébré les joies et les misères de leurs vies sur cette île tropicale et elle a répandu «One Love» partout dans le monde.
Pendant cinquante ans, le médium naturel pour cette musique était les soirées de danse autour d'un «système de son», avec des enregistrements offerts sur le marché seulement lorsque la chanson avait passé l'incroyable test de ces événements intrinsèques à la culture populaire des ghettos. Ainsi, la musique jamaïcaine demeure indissociable de la population jamaïcaine et de l'environnement qui l'a vu émerger. De fait, le reggae est l'une des dernières véritables musiques folkloriques.
Dans le prochain numéro: Le ska